Mouvement étudiant
colombien ; mercredi 2 novembre
Immersion sonore dans la manifestation étudiante by T-klafónido
Depuis plus d’un mois, le mouvement étudiant colombien
s’évertue à faire reculer le gouvernement sur sa décision de réformer la loi
30, qui implique la privatisation partielle des universités publiques. Alors
que le gouvernement reste sourd et impassible, les étudiants tentent de
sensibiliser et séduire l’opinion publique par le biais d’actions ludiques et
artistiques.
Défilé théâtral, slogans poétiques,
révolte artistique. Le mouvement étudiant colombien choisit de séduire, à sa
manière, celui qui fera office d’arbitre dans sa lutte acharnée contre le gouvernement
: le peuple. Elégance et ironie deviennent les armes les plus redoutables pour
le conquérir. Et bien que le mouvement s’embourbe depuis un mois, imagination et créativité ne lui font pas défaut.
Le gouvernement de son côté, ne
cède pas, déterminé à réformer à tout prix la loi 30, qui implique la
privatisation partielle des universités publiques. Malgré son arsenal
médiatique, sa fermeté et son immobilisme ne jouent pas en sa faveur.
L’opinion publique, qui sent venir de loin la tempête de la crise occidentale,
est lasse des réformes néo-libérales.
Créativité contre fermeté, la
bataille s’enlise mais ne manque pas de surprendre.
Croix et crédits
Sur la 3ème avenue,
en plein centre de Bogotá, une procession singulière avance lentement. Ils sont
une douzaine : certains ont les pieds enchainés à des boulets, d’autres
portent d’imposantes croix. L’épuisement se lit sur leur visage. A l’arrière du
cortège, le bourreau armé d’un fouet frappe sans retenue les plus faibles.
Certains s’écroulent sous le poids de leur fardeau ; d’autres continuent
leur marche d’esclave pour finalement s’effondrer et demander grâce.
“Le bourreau frappe sans retenue les plus faibles” |
Ce n’est cependant pas une
cérémonie religieuse, et les protagonistes de ce cortège ne sont ni Jésus ou
ses apôtres, mais des étudiants. Le bourreau tortionnaire, étudiant également, porte
un masque du président Juan Manuel Santos. “Par
le biais de ce symbole religieux” explique t-il, “nous voulons montrer que le poids de la croix est similaire au poids
des crédits financiers dont nous avons besoin pour pouvoir étudier et payer la fac […] étudier 5 ans et
payer 20 ans.” L’un des enchainés ajoute : “nous voulons sensibiliser d’une manière ludique, artistique. Un
mouvement créatif laisse beaucoup plus de traces dans la mémoire des gens qu’un
mouvement ordinaire.” Le bourreau remet son masque et aboie à l’intention
des martyres : “Marchez, vous êtes
et serez les esclaves d’Icetex !”
Sit-in à l’Icetex
Icetex[1], dont le siège est
le point de rendez-vous de la manifestation de ce mercredi après midi, est l’organisme
contre lequel le mouvement étudiant est en grande partie orienté. Créé en 1955
par le ministre de l’éducation de l’époque, Gabriel Betancourt – père d’Ingrid
Betancourt – cet organisme attribue aux étudiants les crédits financiers,
pour leur permettre d’accéder au luxe de l’éducation supérieure (les
universités étant, publiques comme privées, payantes).
Le masque de Guy Fawkes devant le siège de l'Icetex |
“Bien qu’Icetex soit un organisme étatique, il fonctionne comme une
entreprise privée” hurle Oliver pour couvrir le vacarme du sit-in, “mais pire qu’une banque puisqu’il propose
des crédits à des taux très élevés”. Les taux de l’Icetex, suivant les ressources financières de l’étudiant, sa
discipline et son grade universitaire, se fixent entre 4 et 12% par an. Soit
des endettements de plus de 15 ans pour les étudiants qui ont recours au prêt.
“Le gouvernement, petit à petit, a lâché du lest”, continue Oliver, “il a promit de nous offrir des prêts à des
taux 0. Mais en réalité, en nous faisant de telles propositions, il passe à la
trappe nos réelles exigences : une éducation publique, gratuite et
universelle.”
Théâtre de rue sur la 7ème
avenue
Juan Manuel Santos et María Fernanda Campo |
Un peu plus loin, la manifestation
bloque la circulation sur la 7ème avenue avec la 19ème
rue, centre névralgique de Bogotá. Les citadins intrigués observent les trois
étudiants qui montent sur une estrade improvisée. Le premier, mégaphone en
main, donne la parole à une étudiante au visage caché par le masque de la
ministre de l’éducation, María Fernanda Campo : “les universités publiques seront financées par des entreprises privée…
heu… pardon, par l’Etat ! Le gouvernement se chargera de subvenir aux
besoins des plus rich… défavorisés !” Alors qu’un concert de sifflements
accompagne son hypocrisie, son voisin de droite, le masque du président Santos
sur la tête, applaudit généreusement.
L’animateur poursuit : “Je donne à présent la parole à son éminence,
le Docteur Juan Manuel Santos !!!” Le président prend la parole :
“Je ne permettrai en aucun cas que
certains agitateurs qui n’ont pas lu la loi bloquent les rues ! Nous
vivons dans un régime démocratique et cette réforme sera adoptée, un point
c’est tout !” Sous une pluie de huées, Santos lève fièrement les bras.
“Infarctus !!” Fulmine un
manifestant, sitôt suivi par une foule qui s’effondre, gravement atteinte au
cœur.
Des passants enchantés |
Ces scènes de théâtre enchantent
les passants et vendeurs ambulants, pris au jeu. Un marchand de sacs annonce justement
dans son petit ampli de poche : “A
5000 pesos le sac, contre la réforme de la loi 30, à 5000 pesos le sac, pour
une université gratuite…” Un vieil homme s’approche d’un groupe de jeunes
déguisés en clown : “vous avez raison
de protester, c’est tout ce qu’il nous reste ! En plus vous nous
amusez !”
La marche se terminera en
musique le long de la 7ème avenue jusqu’à la place Bolívar, devant
le palais présidentiel et le congrès. Cependant, les scènes de théâtre de rue
et autres spectacles ironiques n’affecteront, ni n’amuseront le
gouvernement. Impassible derrière les piliers de marbre du congrès, sa détermination
restera sans failles, aussi mal-perçue soit-elle par les étudiants et l’opinion
publique.
Sur la 7ème avenue |
Un des leaders de l'université pédagogique |
Les toutes nouvelles générations elles aussi impliquées |
[1]
Instituto Colombiano de Crédito Educativo y Estudios Técnicos en el Exterior