mercredi 7 mars 2012

Le gouvernement colombien face à ses victimes

Marche du 6 mars contre les crimes d'Etat et crimes paramilitaires


Ce mardi 6 mars, plusieurs milliers de colombiens ont défilé dans les rues des plus grandes villes du pays. Unis pour rendre hommage aux victimes des crimes d’Etat et paramilitaires, ils ont également dénoncé la politique de restitution des terres, mesure phare du président Santos. Le gouvernement, hostile à cette attaque frontale, a essayé de discréditer le mouvement. Un mouvement impulsé par de nombreuses organisations de défense des Droits de l’Homme.

De la base de la plus haute tour de Bogotá, s’élève une clameur grandissante. Une foule d’une centaine de personnes gonfle peu à peu. Certains fignolent leur banderole colorée alors que d’autres distribuent des tracts. Quelques policiers déambulent, visiblement satisfaits du calme qui règne. Des slogans jaillissent, aussitôt suivis de rythmes de percussions. Un cortège de plus de 1000 personnes se met alors en route le long de la 7ème avenue.

“Le gouvernement est responsable”

Tous les 6 mars depuis 2008, se tient la journée nationale des victimes des crimes d’Etat. “Nous souhaitons dénoncer le conflit armé dans sa totalité” explique le père Alberto, directeur de la commission justice et paix. “Mais nous dénonçons avant tout les crimes commis par l’Etat et par les paramilitaires. Ils sont responsables de la grande majorité des violations de Droits de l’Homme dans ce pays. Des violations entièrement liées à nos ressources, que convoitent les multinationales,” lâche t-il amèrement.

Cette marche s’oriente également contre la loi de restitution des terres aux paysans déplacés par le conflit armé. Projet phare très controversé du gouvernement. Le député Jorge Robledo – parti polo democrático, gauche – parle d’une “farce” : “le président a restitué 15.000 hectares sur les 160.000 qu’il a promis de redonner aux paysans avant 2014.” Il conclu, infaillible : “Ce qui est déjà insuffisant, il ne l’accomplira même pas.”
Franklin Castañeda
Triomphal devant un bouquet de micros, Franklin Castañeda du comité de soutien aux prisonniers politiques, matraque la politique de Santos : “on parle de restitution de terre aux paysans, mais des milliers d’entre eux sont encore expulsés par des entreprises minières étrangères ; avec l’aval du gouvernement et l’appui de groupes paramilitaires.” Le porte parole du comité enfonce le clou : “ceux qui se battent pour une réelle restitution de terre sont constamment menacés par ces groupes paramilitaires, et par l’Etat lui-même.”

La marche se dirige vers le ministère de l’agriculture. Devant l’étincelante porte cadenassée du ministère, des dizaines de photos imprègnent le sol. Des syndicalistes, des leaders de communautés indiennes, des journalistes, de simples jeunes sans histoire, tous assassinés ou disparus… “Tant de morts dans ce pays !” siffle un manifestant. Il vient d’une communauté où 19 des siens ont été tués par les paramilitaires.
Derrière l’imposante entrée, pas l’ombre d’un mouvement.

Une marche peu appréciée

Devant le ministère
Malgré la présence massive de journalistes, la marche n’est que très peu reprise dans la presse. Une manifestation insignifiante qui ne mérite pas d’écho dans les médias ? Ou une façon de taire les bruyantes casseroles que traine le gouvernement ? L’opinion des organisations de défense des Droits de l’Homme est unanime.
Depuis sa création en 2008, cette journée a été totalement discréditée par les deux gouvernements successifs. “Hier, Santos a annoncé que cette marche était sûrement infiltrée ou impulsée par les guérillas,” s’irrite Franklin Castañeda. “Si on va dans leur sens, la marche contre les FARC était impulsée par Salvatore Mancuso ! (Ex-chef paramilitaire actuellement en prison aux Etats-Unis, ndlr)”. Peu à peu cependant, les crimes d’Etats et paramilitaires font surface. Les familles des victimes dénoncent publiquement des faits pourtant tabous il y a quelques mois. “Il est temps que la Colombie ouvre les yeux” soupire la mère d’un adolescent assassiné par l’armée. “Un jour, on nous demandera publiquement pardon, et on condamnera les coupables.”
Un enthousiasme que ne partage pas forcément le gouvernement de Santos.

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La violence antisyndicale 
est une politique systématique en Colombie”
Entretien avec Luis Alberto Vanegas, secrétaire général de la CUT
Luis Alberto Vanegas


Liste de tous les syndicalistes assassinés depuis 1986
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Promenade sonore
(en espagnol uniquement)
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Diaporama