“Ci-gît un droit fondamental” |
Après plus de cinq mois de manifestation et un mois de blocage, les universités publiques colombiennes
continuent à lutter contre la privatisation de l'enseignement
supérieur. Du côté du gouvernement, le ton se durcit. Un mouvement qui n'est pas sans rappeler celui des étudiants chiliens qui se battent pour la même raison.
La Colombie dans l'impasse universitaire by T-klafónido
On pourrait se croire à Halloween avant l’heure ; longues
capes de la Faucheuse, peintures faciales lugubres et cercueils en carton défilent
ce mercredi 26 octobre dans les rues de Bogotá. Ce n’est cependant pas un
cortège de cette célèbre fête folklorique, mais une manifestation étudiante.
Une manifestation colorée et musicale, joyeuse et théâtrale. L’enthousiasme qui
règne cache toutefois un certain malaise. S’ils manifestent, c’est que l’avenir
de ces milliers d’étudiants est en jeu.
La réforme de la privatisation partielle des universités
publiques, mesure phare du gouvernement de Juan Manuel Santos, est quasiment
ratifiée par le congrès. “Nous sommes
vraiment indignés par cette réforme qui est une réelle insulte à notre dignité
étudiante.” Soupire Andrés Vanega, l’un des leaders du mouvement. “L’université publique doit être garanti par
l’Etat lui-même [...]
et avec cette réforme, des sociétés privées vont venir
dicter les politiques universitaires.” La réforme implique l’investissement
d’entreprises privées dans l’enseignement supérieur et l’augmentation des frais
d’inscription. “Le gouvernement prostitue
notre éducation aux multinationales, comme il l’a fait avec l’agriculture et
les minerais.” s’énerve un jeune, le visage caché par une écharpe.
Après le Chili, c’est au tour de la Colombie et de ses
étudiants de manifester son ras-le-bol. Le ras-le-bol d’une éducation élitiste,
réservée aux classes aisées, “en voie de
disparition”, comme le révèle une pancarte du cortège. Le système éducatif colombien a
été très largement influencé par la doctrine économique nord-américaine. “Si tu veux étudier, prépare toi à
t’endetter ! Prêt banquier, prêt banquier, prêt banquier !” Ironise
un slogan. La fac coute cher, donc le crédit auprès des banques devient
indispensable.
Armés de bombes de peinture, des tagueurs au visage voilé s’attaquent
aux vitrines des banques, sous l’œil impuissant des vigiles. “Les banques représentent la tyrannie
financière. On étudie jusqu’au Master et on paiera pendant 15 ans notre
éducation, avec des taux ahurissants” se lamente Andrés. “T’en fais pas, glisse-t-il, elles [les
vitrines]
seront nickels dans un petit quart d’heure !” En effet, une fois le
cortège passé, des femmes de ménage armées d’éponges viennent frotter le verre
de ces beaux établissements.
Bien que la réforme soit quasiment ratifiée, le mouvement commence
à taper sur les nerfs du gouvernement. Depuis un mois, les étudiants de l’Universidad Pedagógica et de la Nacional bloquent régulièrement les
avenues de la ville avec des pupitres et procèdent à des cacerolazos (concert de casseroles) la nuit tombée. “Les étudiants ne lâcheront pas le morceau,
et le gouvernement finira par obtempérer”, commente Laura, journaliste
radio à la W.
Au fur et à mesure de ses discours à l’intention des étudiants,
le ton du président Santos a évolué. Au début, il jouait la carte sentimentale :
“ne perdez pas un semestre de votre
vie !” Puis la carte budgétaire : “chaque jour le blocage coute 10,5 milliards de pesos (3,5 millions
d’euros)”. On a vu un Santos humaniste : “pensez aux étudiants qui ont peu de revenus.” Puis un Santos
désespéré et patriotique : “[…] s’il vous plait, retournez étudier,
c’est ce qu’attendent de vous vos
familles et votre pays.” Mais dernièrement, on a vu un Santos exacerbé : “si dans deux semaines les universités n’ont
pas été débloquées, les étudiants perdront leur année” a t-il furieusement
martelé.
Une menace à ne pas prendre à la légère ? “ça fait des mois que le gouvernement nous
promet de revenir sur la loi, et on a vu aucun changement, déplore Andrés, ce sera soit notre année, soit notre avenir,
et c’est tout choisi !”. “Libertad !”
hurle t-il en écho au cortège, avant de le regagner en trottinant. Un
avant-gout d’Halloween règne dans ce mouvement d’indignation, car son ampleur
et sa détermination commencent à effrayer le gouvernement.
Combat imaginaire entre la ministre de l'éducation (à gauche), et le mouvement étudiant (à droite) |
Un manifestation à laquelle participèrent toutes les générations |
De nombreux déguisement |
Homicidia nacional - policía nacional |