mercredi 16 mai 2012

Un mot pour la fin...



Voilà, l’aventure colombienne touche à sa fin. Sept mois après avoir foulé les terres parfumées de l’arôme des arepas, que rythme l’accordéon, dans lesquelles résonne parfois le chant des bombes, je reprends mon envol vers la France.
Les paysages remarquables qui façonnent la Colombie resteront gravés à jamais dans ma mémoire. Mais ce sont surtout des visages et des histoires qui demeureront. Je ne remercierai jamais assez ceux qui m’ont accueillis, ceux qui se sont confiés à moi. Ceux qui parfois étaient timides ou réticents et ceux qui étaient sincères et spontanés. Des femmes et des hommes ont livrés des souvenirs aussi cruels qu’envoutants. Et toujours, résonnait un cri de douleur : un cri contre une incursion paramilitaire dans un village isolé, contre l’impunité dont jouit un commandant de l’armée, contre une disparition forcée… Le conflit armé colombien structure les souvenirs et les articule les uns avec les autres.
J’espère avoir pu, à travers des textes, des images et des sons, rendre fidèlement hommage à ces souvenirs. Rendre hommage également à ceux que la guerre a volé trop vite et trop brutalement. Mais rendre aussi hommage aux vivants, aux résistants, aux anonymes, à ceux qui ne comprennent pas la violence dont ils sont victimes. Et ceux qui combattent cette violence au prix de leur vie.


Hier encore, trois de mes amis, défenseurs des droits de l’homme, ont été menacés de mort. Deux pères de famille et un père de l’Eglise. Je leur ai demandé si ils avaient peur de ces groupes armés d’extrême-droite au service des capitaux et de l’autorité corrompue. “Oui, on a peur. Mais si on abandonne, ils gagnent. Et, ça on ne peut pas se le permettre.” Ils voyagent dans des voitures blindées que le gouvernement par excès de zèle leur a offertes. Maigre soulagement.
Mais, à l’autre bout de la Colombie, on continue à massacrer les leaders indiens, paysans, afro-colombiens. Parce que la banane et le palmier à huile y poussent bien. Mais il n’y a jamais assez d’espace ; alors les paramilitaires, en bons chiens de garde, vident les villages à coup de M-60. Et on plante. 
Dans les beaux quartiers de Bogotá, on vend le litre d’huile à quelques pitoyables dollars. Mais quelle importance, on se fait du fric sur le dos des paysans payés 50 centimes de l’heure. Les seigneurs du marché se frottent leurs mains grasses avec l’entrée en vigueur du TLC. Traité de libre échange Colombie/Etats-Unis. L’insatiable Oncle Sam pompe les sols colombiens…et pas un peso pour le peuple. Logique.
Mais on commence à gueuler. On marche dans les rues. On raconte son histoire à des journalistes. On proteste à la cour interaméricaine des droits de l’homme. Parce que la Colombie ne doit pas être le hangar des Etats-Unis. Ni son bordel, dans lequel des agents de la CIA peuvent baiser sans payer. Indépendant ? De l’Espagne, ça fait deux siècles. Mais des multinationales… 
Et de l’autre côté la guérilla et ses salades communistes. Idéologie remplacée par des cargaisons de coke envoyées en occident. Des bombes explosent et ça ne change pas grand-chose. Qui ? Le gouvernement, l’extrême-gauche, l’extrême-droite, on n’en sait rien, mais ça tue des gens et c’est le principal.
Alors on se mobilise pacifiquement, parce que la mélodie de la mitraille on a déjà essayé… 200.000 morts en 30 ans. Paramilitaires, guérilleros, miliciens, soldats… la même chanson. Les colombiens en ont leur claque de l’entendre résonner. Ceux qui n’ont pas plus de 64 ans ont toujours connu la guerre. Et les anciens ne se rappellent même plus du parfum de la paix. 
Donc on fait l’autruche ; ou on continue à résister, sans savoir si on apercevra le bout du tunnel un jour. On rit de son insouciance…mais on se félicite discrètement, parce qu’on cultive l’espoir. Et en Colombie, c’est déjà beaucoup…


Je tiens, du fond du cœur, à remercier :
La communauté de Las Palmas, Bolívar. A Ricardo, Lucho, Arturo, Vanessa, les planteurs de tabac et de yuca.
La communauté de San Antonio, Inzá, Cauca. A Luz Marina, Fidelina et William pour leur fabuleux courage.
La zone Humanitaire d’El Castillo, Meta. Au Padre Henry, à Mariela et María.
L’organisation Colombianos y Colombianas por la Paz. A Piedad Córdoba.
La Commission Intereclesial de Justicia y Paz. Au Padre Alberto, Avilio, Ceci, Danilo et Cris.
ContagioRadio : Carolina, Evina, Ana-María, Pikie et Elkin. 
Et la famille de Chapinero: Corazón, Mom, Daphné, Jhonny et Amaranta.