Quand la communauté de San Antonio réclame justice
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Fidelina (gauche) coupure de presse relatant les événements de Belén (centre) et Luz Marina (droite) |
Le 8 janvier
2006, à Belén, petit village du département du Cauca, l’armée nationale de
Colombie exécuta Hortensia Cuchumbe et Manuel Pillumue, âgés de 17 et 21 ans. L’armée
les présenta comme deux “guérilleros mort
au combat”. Les familles des victimes ont, de leur côté, fermement démenti cette
accusation. Des années plus tard, la justice a tranché en leur faveur et exigé
que les militaires demandent pardon aux familles.
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L'inscription sur la maison de Luz Marina |
Dans la fraicheur de sa maison, Luz Marina considère
tristement un portrait accroché au mur. Une fillette souriante. “Hortensia, ma fille, n’a jamais été guérillera”,
souffle t-elle, “elle n’avait que 17 ans
et elle voulait devenir professeure.” Ses mains agrippent doucement le
cadre ; “l’armée est censée nous protéger
mais elle vient assassiner nos enfants…”
Six ans auparavant, Hortensia et Manuel furent exécutés par
l’armée colombienne. Sur le mur extérieur de la maison de Luz Marina, une
inscription colorée honore leur mémoire. L’histoire douloureuse de la
communauté de San Antonio. Un village perché entre les montagnes verdoyantes du
Cauca. “La guerre n’était pourtant jamais
venue ici, mais elle m’a prit ma fille”.
Une exécution truquée
Le 8 janvier 2006, Hortensia, Manuel et William, partent à
une fête traditionnelle à Belén, à 5km de San Antonio. En repartant à trois sur
une moto, plusieurs rafales de mitraillette tirées dans leur dos abattent
Hortensia et Manuel. William, blessé, s’enfuit et part prévenir le village. Lorsque
les familles arrivent sur les lieux du crime, des militaires sont présents. Ils
annoncent froidement que deux guérilleros viennent d’être tués.
Alertée par les tirs, une petite foule se forme autour des
hommes en treillis. “Vous avez tué deux
paysans !” hurle un homme. “Il
n’y a pas de guérilla dans ces montagnes !” fulmine un autre. Face à
la pression, les militaires tirent en l’air et emportent les corps dans une
jeep.
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Les montagnes du Cauca |
Plusieurs heures plus tard, Luz Marina et Fidelina, la mère
de Manuel, retrouvent les militaires dans le département voisin du Huila. La fiscalía – ministère public – et de
nombreux journalistes entourent les deux corps vêtus de treillis militaire. Leurs
mains inertes saisissent une grenade, un pistolet et deux talkie-walkie. Luz
Marina s’affole : “mais pourquoi les
avez-vous déplacé ici ? Et pourquoi ont-ils des vêtements de
militaires ??” “Nous venons de
tuer deux dangereux guérilleros” claironne un officier, “dont un important commandant très recherché.”
Les familles ont noté plusieurs irrégularités qui
n’apparaissent pas dans le rapport remis par le bataillon. “Les militaires ont délibérément truqué le
rapport à leur avantage” soutient Luz Marina, révoltée. “C’est pour cette raison que nous n’avons
jamais abandonné.”
“L’armée souhaite se laver les mains”
Depuis, les familles s’enlisent dans un processus judiciaire
contre l’armée et le gouvernement colombien. Cependant leur acharnement paye. Fin
2009, les charges de rébellion et d’actes de terrorisme retenues contre William
ont été abandonnées. En 2010, l’armée a reconnu s’être trompée de “cible”. En 2011, elle a accepté de présenter
publiquement ses excuses aux familles. Et début 2012, elle a proposé la date du
17 février pour cet acte de pardon.
Pour les familles toutefois, ce processus est insuffisant,
incomplet et palliatif. Insuffisant, car elles veulent que soient jugés et
condamnés les officiers du bataillon. Incomplet, puisqu’elles estiment que
cette exécution a été commise intentionnellement. Et palliatif, parce qu’elles
pensent que l’armée souhaite “se laver
les mains et ciao on oublie l’histoire,” selon Luz Marina.
Un événement courant
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A l'intérieur de l'église pendant la conmémoration |
La veille de l’acte de pardon, l’avocate des familles de San
Antonio reçoit un SMS du lieutenant Herrera. Dans celui-ci, il spécifie que
pour “des raisons de sécurité, l’armée ne
pourra pas venir le lendemain.” Cette annonce provoque l’indignation des
familles. “Il n’y a jamais eu de
guérillas ici !” martèle Luz Marina, “ce sont les militaires qui ont amenée la violence chez nous, et
maintenant ils ont peur de venir ??”
Santiago, de la comisión
de Justicia y Paz qui accompagne les familles depuis le début, soupçonnait
ce leurre de la part de l’armée : “l’événement
de Belén n’est pas isolé. Depuis 2006, plus de 3000 personnes ont été
assassinées par l’armée et la police. Si ils demandent pardon à une famille,
ils devront demander pardon à tout le pays ! ” (voir encadré). Et de conclure,
solennel : “ce serait un coup fatal pour
le commandant suprême des armées (Juan Manuel Santos, ndlr) et de sa politique de « comportement
éthique supérieur » (slogan de l’armée colombienne, ndlr).”
Ce même jour, les familles écrivent une lettre adressée
directement au président Santos. Elles expriment leur profonde colère et
condamnent les arguments utilisés par l’armée. Elles exigent que l’acte de
pardon soit reporté au 10 mars. Pour l’instant, cette date est acceptée par les
militaires. Mais afin de ne pas « salir » le drapeau de l’armée, ce
processus peut très bien être reculé indéfiniment. Le gouvernement colombien l’a
déjà prouvé par le passé.
Lien publication Agoravox: http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/colombie-executions-sommaires-et-111640
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Promenades sonores
(en espagnol uniquement)
Les exécutions sommaires de San Antonio
Le comportement "éthique supérieur" du bataillon Cacique Piguanza
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Les Falsos Positivos
Pour aller plus loin:
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Diaporama
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Carte de la Colombie |
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La chiva de Don Leonidas, antique bus multicolore |
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El viejito de San Antonio |
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La rue principale de San Antonio |
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Sin Olvido slogan de la comisión Justicia y Paz |
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Les enfants de la maternelle |
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L'intérieur d'une maison |
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Ismael, le père d'Hortensia |