Anniversaire de la création de la
zone humanitaire d’El Castillo
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Les pierres des victimes |
Entre 1980
et 2006, le village d’El Castillo, dans le département du Meta, a subi une
violente situation armée. Victimes de la richesse de leurs terres, plus de deux
cents habitants ont été assassinés et trois mille ont été déplacés.
[ Tomberont ceux qui ont
mangé notre pain sans avoir transpiré”.
Enveloppé d’une épaisse soutane blanche, le père Henry chante
joyeusement. Malgré les fausses notes, la petite assemblée réunie devant lui
reprend avec enthousiasme les paroles. Suant à grosses goutes, l’ecclésiastique
martèle le rythme tel un chef d’orchestre sentencieux. Le rythme du combat
social que mène depuis des années la communauté d’El Castillo.
Une région prolifique dans laquelle fleurit la guerre
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Le père Henry |
Logé au pied de la cordillère orientale, le village d’El
Castillo fait face aux immenses plaines torrides du Meta. Une région riche et
fertile. On y trouve des émeraudes, du pétrole, de l’or. Le bétail s’y
engraisse et le palmier à huile y pousse abondamment. Une région tellement
prolifique que les acteurs armés y fleurissent également.
“Depuis 1980, cette
région est violemment frappée par la guerre”, souffle le père Henry, se
débarrassant de sa toge. “A l’origine,
c’était un combat idéologique entre les guérillas et l’armée. Mais c’est très
vite devenu une lutte territoriale.”
Dès le milieu des années 80, en réponse aux extorsions des
guérillas, les propriétaires terriens du Meta impulsent la création de groupes
paramilitaires. Peu à peu, ces groupes se lient intimement à l’armée et secondent
les opérations antiguérilla. Ils coordonnent également les actions contre les
civils à la solde d’exploitants avides de terres.
“Ils viennent trancher les têtes”
Coiffé d’un antique panama noirci, Luis caresse calmement sa
fine moustache blanche. “En 30 ans, plus
de 200 d’entre nous ont été assassinés…par l’armée et par les paramilitaires.” Assi
à proximité, Juan décrit amèrement les liens étroits entre ces deux
groupes : “les militaires entraient
dans le village et nous disaient : « n’ayez pas peur de nous, mais de
ceux qui arrivent derrière. Eux viennent trancher les têtes. »”
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Luis |
A partir de 2002, le gouvernement d’Alvaro Uribe lance l’operación conquista. Une vaste campagne
militaire afin de reprendre les territoires contrôlés par les guérillas. Juan
réfute cette version d’une volée dans le vide : “un prétexte pour s’emparer de nos terres. Ils étaient tous au service
des grands propriétaires et des éleveurs.” Pendant cette période, de nombreux
syndicalistes et leaders communaux disparaissent. Puis surgissent comme
guérilleros morts au combat. Luis fulmine à son tour : “ils se débarrassaient de nos leaders pour
nous effrayer. Pour qu’on parte volontairement.”
Une méthode très efficace. Fin 2004, les sept cents familles
d’El Castillo s’étaient toutes enfuies. Jusqu’aux lointaines fermes isolées
dans les montagnes. “La plupart sont
partis à Villavicencio,” commente le père Henry, un vague geste vers le
nord. “Les terres ? Certaines sont
exploitées par des grands propriétaires, mais la majorité ont été laissées à
l’abandon.”
La création d’un rêve
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Reinaldo |
Suspendu aux poutres de la maison populaire d’El Castillo,
le portrait tragique de Reinaldo Perdomo s’agite au gré d’une brise brûlante. Mariela
le dévisage tendrement : “mon beau-frère a
été assassiné à Villavicencio le 12 août 2003 par les paramilitaires. Il s’est
battu pour que nous puissions revenir sur nos terres et construire une communauté
de paix.” Elle esquisse un léger sourire : “son rêve s’est quand même réalisé.”
On fête aujourd’hui les six ans de la création de ce rêve. En
2006, alors que les paramilitaires se démobilisent massivement, 18 familles partent
de Villavicencio et se réinstallent sur leurs terres. Le 24 mars, elles créent une
zone humanitaire. Un espace protégé par la commission interaméricaine des
Droits de l’Homme et interdit d’accès aux acteurs armés.
Bien que les propriétaires terriens s’irritent du retour
décisif de la communauté d’EL Castillo, le père Henry se montre optimiste :
“avec l’appui de plusieurs organisations,
nous arrivons à négocier avec les grands exploitants. Et petit à petit les
familles récupèrent leurs terres laissées à abandon.”
Cependant, de nombreuses entreprises et multinationales ont
également les yeux rivés sur ces terres prospères. Le rythme du combat social
risque de résonner encore longtemps dans les plaines ardentes du Meta.
Publication Rue89: http://blogs.rue89.com/blessures-colombiennes/2012/04/02/colombie-le-reveil-de-la-terre-ensanglantee-del-castillo-227036-0
Publication le journal des alternatives: http://journal.alternatives.ca/fra/journal-alternatives/publications/nos-publications/articles-et-analyses/articles-de-l-exterieur/article/reveil-d-une-terre-sanglante?var_mode=calcul
Publication Agoravox: http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/colombie-reveil-d-une-terre-113562
Publication Amérique24: http://www.amerique24.com/Colombie-Reveil-d-une-terre-sanglante_a1243.html