Le samedi 10
mars, l’armée a présenté pour la première fois des excuses publiques pour l’assassinat
de civils. L’acte de pardon, très peu médiatisé, a eu lieu à Belén, où ont été
tués Hortensia et Manuel en janvier 2006. Les familles, qui appréhendaient
cette rencontre, ont rendu à nouveau hommage aux victimes et exprimé leur
indignation. Les militaires, très discrets, ont quant à eux reconnu leur “erreur”. Cependant les familles ont jugé
cet acte “insuffisant”. Elles exigent
justice, vérité et réparation.
Luz Marina se réveille en sursaut. Un bourdonnement étouffé
se précise au dessus d’elle. Elle se précipite sur le seuil de sa maison et
inspecte rapidement le ciel. Un faisceau blafard balaye le village de San
Antonio. Un hélicoptère de l’armée. “Alors
ils viendront” songe t-elle. Elle repart se coucher, partagée entre la
satisfaction et l’angoisse. Le bruit sourd des rotors repart se fondre dans la
nuit.
Humiliation et
protocole
Ce samedi 10 mars, la tension est palpable à San Antonio. La
communauté attend ce jour depuis 2006, lorsque le bataillon Cacique Pigoanza a
exécuté Hortensia et Manuel. D’abord présentés comme « guérilleros morts
au combat », l’enquête révéla qu’ils n’appartenaient à aucun groupe armé.
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La salle que les militaires avaient préparée |
Les militaires viennent aujourd’hui demander pardon aux
familles. Décision de la juge. “Ils le
font à contrecœur, c’est une humiliation pour eux”, soutient Luz Marina. L’acte,
qui devait d’ailleurs se réaliser trois semaines auparavant, avait été annulé
car les « conditions de sécurité n’étaient pas garanties ». Face à l’indignation des familles, la
cérémonie a finalement lieu.
Venues de tous les villages voisins, plus de deux cents
personnes attendent sur le terrain de foot de Belén. Le hameau où ont été
assassinés Hortensia et Manuel. Les militaires préparent une petite salle pour
la cérémonie : une trentaine de tabourets en ligne, drapeau colombien et
drapeau militaire, fleurs en évidence.
Luz Marina, sidérée par ce protocole, harangue le colonel Fernando
López Colmenares : “j’exige que la
cérémonie se réalise à l’endroit où vous et vos soldats avez exécuté ma fille,
colonel. Et pas dans cette salle avec votre drapeau. Vous leur avez tiré dans
le dos, là-bas, à la sortie du village, colonel.” Le militaire, sermonné
tel un écolier, acquiesce froidement.
“Vous êtes les premiers à obtenir des excuses de l’armée”
Pendant la messe, le père Alberto, de la Commission Justice
et Paix, rappelle l’importance de cette cérémonie : “vous êtes les premiers en Colombie à obtenir des excuses de l’armée
pour des exécutions extrajudiciaires.” Discrets et tête baissée, les
militaires n’apprécient guère cette exclusivité.
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Luz Marina face au colonel López |
Le colonel saisit un bouquet de fleurs et se dirige
prudemment vers Luz Marina. “Ce bouquet
ne vous rendra pas la vie de votre fille, mais nous reconnaissons qu’une erreur
a été commise, et les erreurs sont humaines,” souffle t-il, glacial. Luz
Marina rétorque d’une voix tremblante : “Vous avez volé les rêves de ma fille et vous l’avez accusée de
guérillera. Et c’est vous qui avez apporté la terreur dans notre village,
colonel !” Tonne t-elle face au visage impénétrable de l’officier. “Je veux les noms de ceux qui ont ordonné
l’exécution de ma fille, qu’ils soient jugés […]
Nous exigeons justice contre les responsables des milliers d’assassinats de ce
pays” couronne t-elle sous les applaudissements.
Imperturbable, le colonel López édulcore les
accusations : “nous prendrons toutes
les dispositions nécessaires pour que ce tragique événement de ne reproduise
plus jamais” Et d’ajouter, cynique : “nous continuerons à combattre le terrorisme au nom du peuple
colombien”. Remerciements. Bénédictions. Fin de l’acte.
L’armée reconnaît-elle que Hortensia et Manuel sont des falsos positivos ? Le colonel refuse tout commentaire.
Le début de la
bataille
La presse colombienne ne reprend que très peu l’information.
Pour cause, aucun journaliste ne couvre l’évènement. “Ils n’ont pas voulu venir” prétend l’attachée de presse du
bataillon, dont le rôle est de convoquer les médias. Des journalistes joints
par téléphone affirment n’avoir jamais été conviés.
Le communiqué écrit par l’attachée de presse relativise la
responsabilité de l’armée. Les faits du 8 janvier 2006 se résument à une
« défaillance des services de l’armée ». Et le colonel López, au nom
de l’institution militaire, s’engage à respecter « les Droits de l’Homme ».
Passent sous silence les déclarations et les exigences des familles.
Mais la pilule ne passe pas. “Ils ont fait l’absolu minimum” déclare amèrement Luz Marina. “Ils ont refusé de donner les noms des
responsables et d’avouer leur totale responsabilité”. Néanmoins, elle ne
baisse pas les bras : “la bataille contre
l’armée vient tout juste de commencer”.
Une façon d’ouvrir les portes de la justice aux milliers de
familles de falsos positivos.
Publication Rue89: http://blogs.rue89.com/blessures-colombiennes/2012/03/22/belen-le-timide-pardon-de-larmee-colombienne-226985
Publication Agoravox: http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/timide-pardon-de-l-armee-112523
Publication Amérique24: http://www.amerique24.com/Timide-pardon-de-l-armee-colombienne_a1216.html
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Promenade sonore
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Diaporama
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Luz Marina |
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La père Alberto Franco |
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Le colonel Fernando López Colmenares |
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La vue des montagne du Cauca depuis Belén |
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Bulletin de presse du bataillon Cacique Pigoanza |
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Reportage vidéo de NoticiasUno