vendredi 25 mars 2011

Altos de la Florida, terre d'accueil, terre d'exclusion

Le quartier d'Altos de la Florida vu depuis les hauteurs (photo: Timothée L'Angevin)
En 2011, la population informelle de Bogotá, capitale colombienne, est estimée à plus de deux millions de personnes. Deux millions de personnes exclues, repoussées aux limites de la ville, établies dans des conditions précaires, certaines sans accès aux services urbains les plus élémentaires. Le tiers de ces personnes a été déplacé par le conflit armé, conflit qui dévaste la Colombie depuis plus de quarante ans.
De nombreux quartiers de la capitale, terres d'accueil des populations défavorisées, sont devenus des terres d'exclusion. Des quartiers suspendus aux contreforts instables les plus lointains de la mégapole. Des quartiers, que les autorités n’ont jamais su contrôler, aux mains de groupes armés illégaux, qui instaurent un climat de terreur sur l’appareil social, économique et judiciaire. Des quartiers où luttent des femmes, des hommes, des communautés, pour que soient respecter leurs droits de citoyens, leur droit à la ville, leur droit à une existence digne et durable.
Altos de la Florida est l’un de ces quartiers.

Incursion sonore dans le quotidien des habitants de cette communauté.


Un reportage de Daphné et Timothée L’Angevin.

TRADUCTION :

Introduction :
Voix off : L’ex ministre du logement, de l’environnement et du développement Juan Lozano, a rapporté que la tragédie de Soacha* est liée au manque de planification urbaine, à l’invasion illégale et à la corruption d’une municipalité qui a paralysé le développement territorial.
Situé au sud est de la municipalité, dans la commune 6, se trouve le quartier d’Altos de la Florida.
Doña Blanca : il y a environ une cinquantaine d’institutions qui travaillent ici…surement plus. Chaque jour le quartier se dégrade. Au lieu de s’améliorer il se dégrade.
Doña Esperanza : si les autorités s’occupaient un peu plus du quartier, je pense que tout s’améliorerait.
Voix off : un quartier illégal composé d’environ 800 familles déplacées par la guerre, qui, depuis une dizaine d’années, ont envahies les terrains inoccupés.
Don Alvaro : il doit y avoir environ 40% de déplacés, mais l’autre 60% sont des personnes vulnérables.
Doña Blanca : la question que j’ai posée à l’ONU, et que je vous pose à vous : que faites vous pour la communauté ? Que faites vous pour la communauté ?? Pour les jeunes ? Pour les enfants ? Pour les mères au foyer ? Dites-moi, je veux savoir quelles sont les réponses…

* Soacha : ville indépendante de 700 000 habitants imbriquée dans les quartiers sud-ouest de Bogotá.

Première échappée musicale
La Etnia – Real (paroles et traduction à la fin du texte)

1.    Altos de la Florida, un refuge pour les populations vulnérables

Narrateur : Altos de la Florida se situe à une demi heure de marche de l’autoroute sud en allant vers les collines sud-occidentales de Soacha. Après le quartier de l’Altico, l’asphalte disparaît et laisse place à une route de terre. Un dénivelé de 200 mètres divise Altos de la Florida avec l’autoroute. Le quartier offre une vue magnifique sur Soacha et Bogotá.
Au milieu de l’année 1990 arrivèrent les premiers habitants à Altos de la Florida. Certains sont venus d’autres quartiers de Soacha et de la capitale pour résoudre leur problème de logement et devenir propriétaire d’une parcelle. D’autres, déplacés par la violence, sont venus chercher une stabilité dans une zone épargnée par la guerre, et tenter de reconstruire leur vie. Il y a environ 5000 habitants à Altos de la Florida, dont 40% ont été déplacés par la guerre, venus de tout le territoire national : Tolima, Cundinamarca, Huila, côte Pacifique et Caraïbes, des plaines. Les 60% restants se considèrent eux-mêmes vulnérables.

Altos de la Florida (photos : Daphné L'Angevin)

2.    Tyrannisés et expulsés par la guerre

Narrateur : Nicolasa Maria Cansario Navaro, déplacée de la ville de Santa Marta, est arrivée à Altos de la Florida il y a quatre mois. Elle loue une maison en brique dans laquelle elle vit avec son mari et ses deux fils.

Don Timothée : pourquoi êtes-vous venue ici ?
Doña Nicolasa : parce que là-bas on a tué mon père, mon frère et mon grand-père. Un massacre. Et quatre d’entre nous ont été blessés.
Don T. : qui était responsable ?
Doña N. : les paramilitaires. Mon père était le leader de la communauté, élu par les habitants du quartier. Mais il y a toujours quelqu’un d’autre qui veut prendre la place.
Don T. : quels étaient les groupes paramilitaires dans votre quartier ?
Doña N. : avant c’était le groupe d’Hernan Giraldo, qui appartenait au Bloc Nord des AUC* de « Jorge 40 »**. Maintenant ce sont les « Paisas » et les « Aguilas Negras », et aussi les « Urabeño »***. Dans ce quartier, il faut respecter ce qu’ils ordonnent.
Don T. : vous pouvez nous raconter ce qu’il s’est passé ?
Doña N. : nous, on a rien vu, on était chez une voisine. Et quand on a regardé vers la maison, ma sœur a dit : « hé, ils ont éteint la musique ». On est arrivé et mon grand-père était déjà mort. Mon père courut de la terrasse jusqu’à la cuisine, et fut abattu à ce moment là, devant la chambre. Mon frère, celui qui a été blessé, s’est caché dans la chambre pendant que le voisin appelait à l’aide. Mon beau frère s’était échappé. Mon frère, celui qui a été tué, a suivi mon autre frère puis est parti vers la maison de mon grand père qui était juste à côté, et il fut abattu sur le coup. Il y avait juste un tout petit peu de sang. Mon père saignait énormément et ça ne s’arrêtait pas. Le jour suivant, deux voisines nous ont aidé à nettoyer parce que toute la maison était pleine de sang, comme lorsqu’on tue un animal. Et vu qu’on n’avait pas d’armes, et moi je ne suis pas para, un soir on dormait chez une voisine, le soir suivant chez une autre, et on dormait mal. Et j’ai dit à ma mère : « pour l’amour du Dieu, allons dormir à la maison ». Elle, comme elle avait peur, elle s’enfermait dans la dernière chambre. Moi, je dormais dans le salon, sur un matelas avec une machette en dessous. A trois heures du matin, un monsieur est venu frapper à la porte : « vous avez de la glace ? » « Non monsieur, on a pas de glace » « pas d’importance, ouvrez ! » J’ai crié : « fils, il y a un monsieur qui cherche de la glace ! » pour qu’il croie qu’un homme était avec moi. Il est parti. Trois jours plus tard, ils ont essayé de casser la porte. J’ai hurlé « à l’aide ! » pour prévenir les voisins. Ils sont partis, mais ils ont quand même réussi  à casser la porte.
Narrateur : la douceur de son visage ne s’accorde pas avec la violence de son histoire. Deux ans après cette tragédie, elle semble avoir enterrer les souvenirs. Son plus jeune fils, au contraire, reste traumatisé: il se cache sous le lit lorsqu'il entend des pétards et des feux d'artifice, bruits qui lui rappellent la mitraillette qui a a tué son arrière grand-père, son grand-père et son oncle.


* Autodefensas Unidas de Colombia : Autodéfenses Unies de Colombie, groupe paramilitaire d’extrême droite, officiellement démobilisé depuis 2006. 
** Rodrigo Tovar Pupo, alias « Jorge 40 », chef paramilitaire et narcotrafiquant, responsable de nombreux massacres et disparitions. 
*** Groupes paramilitaires qui ont émergés lors de la démobilisation des AUC.




Nicolasa (photo Daphné L'Angevin)

Coupure de presse de l'assassinat des proches de Nicolasa et photo d'elle en compagnie de son père 
(photo: Daphné L'Angevin)

Narrateur : Lidia Esperanza Ramirez était agricultrice dans le village de Cabrera, Cundinamarca, quand les AUC l'ont expulsé il y a quelques années. Elle vit avec dix personnes, enfants, petits-enfants et gendres, dans une petite maison de 20 mètres carré, construite par l’organisation « Techo para mi País » (un toit pour mon pays).


Doña Esperanza : on élevait du bétail, on cultivait des pommes de terre…c’était ce qu’on faisait à la ferme. Notre ferme produisait bien, quand un jour, pendant l’après-midi, six hommes sont arrivés. On nous a dit plus tard qu’ils faisaient partie des AUC. Ils nous ont ordonné de partir de la ferme. Je suis partie de lendemain à trois heures de l’après-midi. Ils sont revenus pour chercher le père de mes enfants. Il était à Bogotá, ils sont partis le chercher là-bas. En réalité il travaillait à Soacha, donc ils l’ont cherché là-bas, pour le tuer. De toute façon je m’entendais plus du tout avec mon mari. On s’est séparé et lui est venu s’installer à Soacha. Ils sont allés où ils croyaient qu’il travaillait, pour le tuer. C’était donc la raison de notre déplacement forcé.

Don Timothée : Ces AUC en voulaient à votre ferme ?
Doña E. : non, ils ne voulaient pas la ferme, ils en voulaient au père de mes enfants. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé. De toute façon, il parlait beaucoup, trop. Et je pense que c’est pour cette raison. Le déplacement a été un traumatisme pour nous. Cinq ans après, à Soacha, j’ai vu à l’un des types qui nous avaient déplacés. Vu que ces types n’ont toujours pas retrouvé mon ex-mari, je pensais qu’ils allaient se venger contre mes enfants qui ont grandi.

Esperanza (au centre) et sa famille (photo: Daphné L'Angevin)


Narrateur : Georgina Bermuedo Grueso, une femme souriante, est venue à Altos de la Florida il y a un peu plus d'un an. Elle habite dans une maison faite de morceaux de bois et de plastique, dont le sol est en terre. Avant elle vivait à La Tola, Nariño, mais les FARC, et les combats entre l'armée et la guérilla l'ont forcé à fuir.


Doña Georgina : j’ai été déplacée par la guérilla [des FARC], à cause de la violence. Où j’habitais, La Tola, Nariño, c’était un endroit calme, il n’y avait rien de…Pour nous, ça a été vraiment terrible quand [les FARC] ont voulu s’emparer de cet endroit, et de faire toute ces choses…enlever les gamins, elles enlevaient les gamins…mes enfants ne pouvaient plus aller à l’école. Ma fille, Maria Delmar, est décédée dans une bataille. Dix ans elle avait, ma fille qui allait à l’école. Elle s’enfuyait de la bataille [quand un explosif l’a touché]. Et elle a mis trois jours à mourir. Et j’ai perdu ma fille, ma petite dernière. Elle est partie, on l’a enterré…et…personne ne va me rendre des comptes. Et mon [plus grand] fils, Luis Francisco, les FARC allaient l’enlever, pour le tuer, parce que les policiers lui faisait faire des petits boulots, ils l’aimaient bien…pour cette raison, ils voulaient le tuer. J’ai du m’enfuir avec les trois enfants qu’il me restait. Je suis restée un moment à Cali. Beaucoup de souffrance, les gens agressifs, qui abusaient de nous…je payait les loyers avec l’argent que je trouvait, le peu que je gagnait. Pour moi, le déplacement a été vraiment, vraiment terrible. Au milieu de la violence personne de vit tranquillement.

Georgina (photo: Daphné L'Angevin)

Sa maison (photo: Timothée L'Angevin)

Deuxième échappée musicale
Juan Gratiniano Lopez – Canción de los desplazados (paroles et traduction à la fin du texte)




Note : depuis 1985, plus de 4 millions de colombiens ont été expulsés de leur communauté d’origine (soit un colombien sur dix) et forcés de fuir vers des zones « épargnées » par le conflit. Victimes d’extorsion, de spoliation de terres, de torture, d’assassinats et de massacres, les paysans sont devenus les cibles d’un conflit sanglant qui opposent les guérillas aux paramilitaires aux narcotrafiquants et aux militaires. Les intérêts économiques (agrobusiness, plantations de coca), les actions militaires et la présence armée, ont poussé les paysans sur les routes de l’exil : un exil forcé, brutal et traumatisant.

3.    Perchés sur les contreforts de la monstruopole

Narrateur : à l’origine, les terres d’Altos de la Florida, de par leur localisation, ne valaient rien. Lorsque sont arrivés les premiers habitants au début des années 1990, les propriétaires des ces terrains comprirent qu’un marché très lucratif pouvait émerger en convertissant ces terres en une zone de grande valeur. Ils commencèrent, à l’aide d’intermédiaires appelés tierreros urbanisateurs pirates, à vendre les parcelles aux habitants qui avaient envahis la zone et qui ne connaissaient pas le processus d’achat. Ce qui se passa, c’est que plusieurs tierreros vinrent réclamer l’argent d’une même parcelle ; les titres de propriété qu’ils avaient remis aux habitants se révélèrent faux. Quasiment tous les habitants du quartier ont eu affaire à deux, trois voire quatre propriétaires différents. Du fait de ne pas avoir de vrais titres de propriété, le quartier se trouve dans une situation d’illégalité et n’est pas reconnu comme tel par la municipalité de Soacha.


Maison "Mikado" (photo: Daphné L'Angevin)

Doña Alvara : le monsieur qui nous a vendu [la parcelle], il se trouve qu’il n’était pas le vrai propriétaire. Donc, on doit payer de nouveau. Et si on ne paye pas, [on s’empare de votre maison] et on vous expulse.
Doña Patricia : on doit payer deux millions de pesos pour racheter la parcelle. Sur chaque terrain, de nouveau propriétaires sont apparus. On doit payer de nouveau. Et à chaque fois, le terrain coûte plus cher que ce qu’il a coûté. Et si on ne peut pas, on nous expulse !

Don Alvaro : je m’appelle Alvaro Ortiz Rojas, président de l’Assemblée d’Action Communale d’Altos de la Florida, premier secteur. Pour parvenir à la légalisation de ces terres, on doit acheter les parcelles aux véritables propriétaires. On doit payer de nouveau, en accord avec la municipalité, pour parvenir à la légalisation du quartier, et ainsi avoir accès aux services urbains, comme l’eau par exemple.
Nous avons réalisé un accord en tant que leaders de la communauté avec la Empresa de Acuaducto y Alcantarillado de Bogotá (entreprise de l’eau), et nous payons l’eau 8368 pesos par mètre cube (3,35€). Et on est approvisionné en eau par camion citerne. Alors que dans le nord [riche] de Bogotá l’eau coûte 2500 – 3000 pesos par mètre cube d’eau (1 – 1,2€), nous la payons, comme citadins vulnérables, plus de 8000 pesos. Nous avons l’espoir qu’un jour la municipalité nous reconnaisse [comme quartier légal], et qu’elle nous fournisse les services urbains auxquels nous avons droits comme habitants.

Alvaro (photo: Daphné L'Angevin)

Doña Nicolasa : ça faisait quasiment 15 jours que le camion citerne n’était pas venu. Parfois il vient et parfois on n’a pas l’argent. La dernière fois qu’il est venu, je n’avais pas l’argent. Chaque jerrycan coûte 2000 pesos (0,8€).
Narratrice : un jerrycan : 200 litres.
Don Timothée : combien de jerrycans utilisez-vous par semaine ?
Don N. : deux à peu près.

Doña Patricia : moi, j’en achète six ou sept et parfois je ne m’en sors pas. Et j’économise énormément l’eau.
Don T. : et vous êtes combien ?
Doña P. : nous sommes quatre, et avec les parents, six.
Don T. : et vous ?
Doña Alvara : parfois un seul, mais au maximum deux.
Don T. : vous êtes combien ?
Doña Alvara : nous sommes cinq.
Fils d’Alvara : par exemple quand il pleut, on récupère l’eau de la rivière ou du toit…et pour cuisiner ou la boire, on doit la faire bouillir.
Doña Patricia : même si on la fait bouillir, les enfants attrapent des amibes. Beaucoup de rhumes à cause des amibes. Beaucoup d’enfants sont pâles, jaunes. Beaucoup de gens pauvres ici, on l’est tous…


Récolter l'eau de pluie, une méthode alternative au manque d'eau (photo: Timothée L'Angevin)

Narrateur : on consomme en moyenne 150 litres d’eau par jour et par personne en Europe pour l’usage domestique. Aux Etats-Unis, ce chiffre s’élève à 650 litres. Les habitants d’Altos de la Florida consomment entre 10 en 20 litres d’eau par jour et par personne.


Troisième échappée musicale
Georgina Bermuedo Grueso – Al dios que yo quiero tanto (Chanson originale à la fin du texte)


4.    Insécurité et paramilitaires

Doña Patricia : il y a beaucoup d’insécurité ici.
Fils d’Alvara : surtout à la boulangerie, il y a des types qui jouent à des jeux vidéo, qui prennent de la drogue…on a peur d’aller acheter des trucs à la boulangerie.
Doña Patricia : c’est dangereux, il y a des types qui rodent et qui violent les filles. On ne peut les laisser sortir dans la rue, on doit rester avec elles.
Don Timothée : vous ne vous sentez pas en sécurité ici ?
Fils d’Alvara : non, je ne me sens pas en sécurité, on ne peut jamais laisser la porte ouverte.
Don T. : et où allez vous à l’école ?
Fils d’Alvara : en bas, à l’Altico une demi heure de marche vers l’autoroute sud.
Don T. : vous y aller en groupe ?
Fils d’Alvara : non, on doit souvent y aller seul.
Fille de Patricia : moi j’y vais avec mon frère.
Fils d’Alvara : moi j’ai surtout peur de passer près de l’enclos un peu plus bas, où ont disparu plusieurs enfants.
Doña Patricia : oui, beaucoup de garçons et de filles violés…

"Feliz!" La fille de Patricia (photo : Daphné L'Angevin)

Narrateur : Blanca Oliva Cetavo Molina est la réprésentante du groupe Hormipaz, restaurant communautaire et association composée de femmes qui s’occupe des problèmes alimentaires de la communauté, l’insertion des jeunes, l’activité des enfants avec des ateliers et le respect des droits des femmes. Mais elle lutte surtout contre la drogue et la prostitution que contrôlent les gangs à l'intérieur du quartier.

Doña Blanca : ici, je ne suis pas trop sure, mais il y a ici les dénommés paracos*. Il y a deux groupes, deux gangs, qui envoient tout aux marmites.
Doña Daphné : les marmites ?
Doña B. : où on vend de la drogue, les maisons où on vend de la drogue. Le groupe qui vend le plus de drogue est celui qui a le plus de pouvoir. C’est pourquoi ils se battent, entre eux. Et, la pauvre communauté qui doit payer…des balles qui sifflent par ci des balles qui sifflent par là…

* Nom péjoratif pour désigner les paramilitaires.

Blanca (photo: Daphné L'Angevin)

Doña Esperanza : ici, il y a peu de temps, sont arrivé les paracos, comme on les appelle. Ils me font vraiment très peur. Ils ont demandé à mes filles qu’elles travaillent pour eux. Ils leur ont offert beaucoup de choses. Le peu que je sais, c’est que ce sont des groupes similaires. Croyez-moi que si en ce moment j’avais de quoi m’en aller je le ferais. Bien sur… Ils harcèlent ma fille de 17 ans, qui est un peu plus petite que celle-ci…
Don Timothée : pour l’enrôler ?
Doña E. : ils lui disent que c’est pour travailler, qu’avec eux c’est facile de gagner de l’argent, qu’ils lui donneront tout ce dont elle a besoin, et que si moi aussi j’ai besoin de quelque chose, ils lui donneront…des choses comme ça. Mais moi, je n’ai pas confiance. Ca me fait vraiment peur.
Doña Daphné : quand sont arrivés les paracos dans le quartier ?
Doña E. : ça fait un mois et demi. Le pire, et ça me rend triste, c’est que les gens ici se vendent à eux par nécessité, pour n’importe quoi, pour quelque chose qui ne vaut vraiment pas la peine. Et comme je le dis à mes enfants : "vous n’avez pas le droit de trainer avec eux, même par nécessité". Mais certains non, parce qu’ils leur donnent du boulot, parce qu’ils leur donnent 5000, 10 000 pesos par jour (2, 4€), ils se donnent le droit de faire ce qu’ils veulent. Ce qui me fait peur ? Beaucoup de coup de feu la nuit. Devant chez moi ils tirent, et je reçois des balles sur le toit de la maison.


Doña Blanca : maintenant il y a des enfants qui vendent de la drogue. De huit ou neuf ans. « Allez petit, rends moi ce service, amène ça là-bas ! », sans savoir ce qu’ils transportent. Je dis à mes enfants : « ouvrez les yeux, regardez ce qu’il se passe, aidez à protéger ». Il faut apprendre à se défendre dans la vie. Trois fois ils ont essayé de me tuer. A cause des marmites, parce que je n’ai jamais aimé ce principe, je l’ai toujours dénoncé. Et quand je dénonce, on me trahit tout le temps. Que ce soit la police ou n’importe qui. « La señora Molina a dit ceci, a dit cela ». Mais qu’est ce que je vais faire ? Me taire ?! Continuer à supporter ça ?! J’en ai honte. Ce n’est parce que je suis fatigué, mais on est entouré de marmites : une là, une autre là, encore une autre là et une en bas. Entourés. A côté il y a deux marmites, en bas il y en a deux autres, là deux autres, de l’autre côté de la rue, deux autres. C’est l’enfer de vivre ici.



Narrateur : beaucoup de quartiers marginaux de Colombie, que les autorités ne contrôlent pas, sont devenus de marchés très lucratifs pour les groupes armés illégaux : deal, prostitution, enrôlement… Depuis un mois et demi, Altos de la Florida, un quartier qui avait été jusque là épargné par la violence et la guerre, vit la terreur que sèment les gangs, héritiers directs des groupes paramilitaires. 


Quatrième échappée musicale
Corrido paramilitar – Comando del pueblo  (Paroles et traduction à la fin du texte)

Note : depuis 2005, le gouvernement colombien se félicite d’avoir démobilisé tous les groupes paramilitaires. Mais son impuissance à contrôler ce phénomène et les nombreux liens existants entre les structures politiques et cette force extramilitaire, n’a fait que renforcer le paramilitarisme : de nouveaux groupes de troisième et quatrième génération de paramilitaires sont apparus, aux effectifs considérables gonflés par l’enrôlement forcé et par l’appât du gain de jeunes sans avenir. En plus de contrôler le milieu rural, les paramilitaires se sont introduits dans les zones urbaines. Ils exercent une tyrannie sur l’appareil social, politique, économique et judiciaire des quartiers périphériques des métropoles. De quoi largement remettre en question la notion de démobilisation…

5.    Quelles réponses apporter ?


Doña Blanca : on s’est rendu compte que beaucoup d’enfants souffraient de la faim. Beaucoup. Pareil pour les jeunes. Supposons qu’il y ait trois ou quatre enfants dans un foyer. Les parents travaillent et les enfants restent à la maison. Toute la journée souffrant de la faim. C’est pour cette raison qu’on a voulu créer un restaurant communautaire.

Doña Daphné : combien de repas par jour ?
Doña D. : en ce moment, 140. Mais on espère, si Dieu le veut, avec l’aide du PMA, [Programme Alimentaire Mondial de l’ONU], arriver à 250. Et, s’occuper de la communauté, travailler avant tout pour les jeunes, et les enfants, parce que les enfants sont seuls chez eux dans des maisons fermées. Et qu’ils sachent se défendre, que personne ne les touche, n’abuse d’eux.
Doña D. : à propos des droits des femmes, qu’avez vous réalisé ?
Doña B. : nous apprenons à la communauté, selon la loi 325, à respecter les femmes, pour qu’elles ne soient pas maltraitées, violées, par les maris ou par les fils. Que ce soit des coups, des mauvais traitements physiques ou verbaux. « Vous ne devez pas être maltraitée par votre mari, vous devez étudier, allez de l’avant, et si vous avez un doute ou une plainte, prévenez-moi. » C’est le quotidien d’Altos de la Florida. Mauvais traitements par ci, mauvais traitements par là. Comment éviter qu’il y ait de la violence familiale. Que les femmes ne soient pas frappées, parce que beaucoup le sont. Nous nous battons toujours pour les droits de la femme, ici ou ailleurs, pour l’égalité : « vous êtes un homme, un femme, nous sommes égaux. »
Don Timothée : votre vision du quartier, vos espérances ?
Doña B. : continuer à me battre pour le restaurant communautaire, et pour que les jeunes trouvent du travail. De l’emploi. Ce serait tellement bien qu’on ait un atelier pour fabriquer du savon, des chiffons, des balais, une grande boulangerie, une boulangerie communautaire. Créer des emplois pour les jeunes, pour les mères de famille…
On m’appelle la bagarreuse. Mais je ne suis pas bagarreuse, j’exige simplement que nous ayons des droits comme institution, comme communauté. Si l’être humain n’exige rien, alors que fait-il pour la communauté dans laquelle il vit ?

Blanca et Timothée (photo : Daphné L'Angevin)

Cinquième échappée musical 
Artiste inconnu – Pequeñas palabras


Narrateur : merci beaucoup à la communauté d’Altos de la Florida. A Georgina, Esperanza et ses filles, Alvaro, Nicolasa, Patricia et Alvara et leurs enfants, Blanca et les femmes d’Hormipaz, pour avoir partagé ces histoires…


La Etnia - Real

Real caminando por la noche en la ciudad, real parchado en la marginalidad, real en la esquina divisando la verdad es real real…  
Real caminando por la noche en la ciudad, real parchado en la marginalidad, real en la esquina divisando la verdad es real real…  
Lo real se dibuja alguna chuza como aguja cuando empuja, sistema opresor que apretuja la etnia;
Cuando nadie nunca imita alarma suena y truena, alerta fuerte y grita y desbarata cuando en la calle es que se trata analiza y razona; 
Parao en una zona la calle y su corona que al débil no perdona en un pequeño mundo deambulando meditabundo pasando triste por la calle el vagabundo. 
Cargas el fracaso te han tirado un laso paso a paso voy narrando pa’ que entiendan este caso de tristeza agonía calle y desespero;
Pero el no es el primero atrapado en este guetto ban ban fuego son los ojos del concreto y no es que sea secreto ya que mira ese sujeto ya que mira ese sujeto…

Réel de marcher la nuit dans la ville, réel de vivre dans la marginalité, réel au coin de la rue la vérité fragmentée, c’est réel…
Réel de marcher la nuit dans la ville, réel de vivre dans la marginalité, réel au coin de la rue la vérité fragmentée, c’est réel…
Ce qui est réel se dessine avec une pointe comme une aiguille lorsqu’on bouscule, système oppresseur qui écrase l’ethnie ;
Quand jamais personne n’imite l’alarme qui tonne et résonne, alerte forte qui crie et bouleverse lorsque dans la rue ce dont il est question s’analyse et se raisonne ; 
La rue et sa couronne ne pardonnent pas au faible ; dans ce petit monde enfermé dans une zone, le vagabond déambule, médite et passe attristé dans la rue ; 
Sur toi retombe l’échec, petit à petit s’abat la faiblesse, je le raconte pour que tu comprennes que la rue est tristesse, agonie et désespoir. 
Mais tu n’es pas le premier emprisonné dans ce ghetto, Bam Bam et feu sont les yeux du concret, et ce n’est pas que ce soit secret, c’est la réalité de ce sujet… 
Réel de marcher la nuit dans la ville, réel de vivre dans la marginalité, réel au coin de la rue la vérité fragmentée, c’est réel…

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 Juan Gratiniano Lopez – Canción de los desplazados

Yo tenía una vaca que me daba leche y tenía un perrito, yo tenía una vaca que me daba leche y tenía un perrito;
Un pollo que por la mañana en mi rancho era mi despertador, un pollo que por la mañana en mi rancho era mi despertador; 
Tenía un arado y un mula de hermoso color, tenía un arado y un mula de hermoso color;
Y unos señores con armas portando dijeron que tenía yo que irme de ahí, y unos señores con armas portando dijeron que tenía yo que irme de ahí; 
Siempre me pregunto que le hice a esa gente, solo sabía echar azadón, siempre me pregunto yo que le hice a esa gente, solo sabía echar azadón;
Y por donde paso soy solo un extraño que siente vergüenza de su condición, y por donde paso soy solo un extraño que siente vergüenza de su condición;
Yo no quiero casa acá en las ciudades porque en el cemento no puedo sembrar, yo no quiero casa acá en las ciudades porque en el cemento no puedo sembrar;
Quiero mi ranchito allá en la vereda, quiero a mi tierra poder regresar, quiero mi ranchito allá en la vereda, quiero a mi tierra poder regresar…

J’avais une vache qui me donnait du lait et j’avais un petit chien, j’avais une vache qui me donnait du lait et j’avais un petit chien ;
Un coq qui le matin dans ma ferme était notre réveil, un coq qui le matin dans ma ferme était notre réveil ;
J’avais une charrue et une mule de très belle couleur, j’avais une charrue et une mule de très belle couleur ;
Des hommes avec des armes m’ont dit que je devais partir, des hommes avec des armes m’ont dit que je devais partir ;
Je me demande toujours ce que j’ai fait à ces gens, je savais seulement manier la bêche, je me demande toujours ce que j’ai fait à ces gens, je savais seulement manier la bêche ;
Partout où je vais je suis juste un étranger qui a honte d’être ce qu’il est, partout où je vais je suis juste un étranger qui a honte d’être ce qu’il est ;
Je ne veux pas de maison dans la ville, car je ne peux pas semer sur le ciment, je ne veux pas de maison dans la ville, car je ne peux pas semer sur le ciment ;
Je veux ma petite ferme, là-bas dans le hameau, je veux ma terre et pouvoir rentrer, chez moi je veux ma petite ferme, là-bas dans le hameau, je veux ma terre et pouvoir rentrer chez moi…


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Corrido Paramilitar – Comando del pueblo
Yo soy consciente que me busca la ley; por ser paraco me toca estar huyendo; que culpa tengo si me gustan las armas, con mi pistola es que yo me defiendo.
Soy el comando y a mi me llaman colacho, eso es mi chapa como lo están oyendo, quiero mirar mi país libre de todo, dándome un trago y malditos guerrilleros.
Con el apoyo de todos los campesinos, y por ser bueno me quiere todo el pueblo, voy a luchar hasta entregar mi vida, y por mi empresa yo me juego el pellejo.
En los combates más duros que yo he tenido, siempre mi dios a mi  me está protegiendo, aquí en la jungla Punta hermosa y el Trincho, a muchos de ellos los he visto cayendo.
Cargo a mi escuadra, mi fusil y cartuchera, hecho la bala por si me toca hacerlo, soy un varón y lo hago con verraquera ; a lo gatillo y no me tiembla el dedo. 

Je sais que je suis traqué par le gouvernement ; du fait d’être paraco, je dois me cacher ; ce n’est pas de ma faute si j’aime les armes, je me défends avec mon pistolet. 
Je suis le commando et on m’appelle Colacho ; c’est mon insigne comme vous l’entendez ; je veux que mon pays soit libre, en me prenant un verre sales guérilléros.
J’ai l’appui de tous les paysans, et comme je suis bon tout le peuple m’aime ; je combattrai jusqu’à donner ma vie, et pour mon œuvre je risquerai ma peau.
Durant les combats les plus féroces que j’ai eu, mon Dieu m’a toujours protégé ; ici, dans la jungle, la Punta Hermosa et El Trincho, j’en ai vu beaucoup mourir. 
Je commande mon escouade, porte mon fusil et cartouchière ; je tire si je dois le faire ; je suis un homme, un vrai, et je le braille ; mon doigt sur la gâchette ne tremble pas.  





Rafael Orozco et Israel Romero - Por eso estoy aqui