vendredi 7 janvier 2011

Mélodies Cubaines

Cuba est un pays entièrement rythmé par la musique. A chaque coin de rue, s’échappent de douces harmonies ou d’acerbes cacophonies : une chanson de Buena Vista d’une maison décrépie, un tube reggaeton d’une Chevrolet en fin de vie, une vieux morceau de piano d’un transistor cent fois réparé. La musique est indissociable de Cuba, elle est l’armature de cette société anachronique. Elle diffuse l’image d’un système idyllique, illustrée par le vieux cubain souriant, guitare à la main, un havane entre les dents. Volonté révolutionnaire du parti unique ou tableau biaisé d’une société parfaite ? Cependant, la musique se répète, n’évolue que trop peu, stationne sur les mêmes bases que cette relique socialo-communiste.


Photo: Daphné L'Angevin
Tendez l’oreille et vous entendrez de la salsa, de la guajira, du danzón, du cha-cha-cha, et parfois un rythme artificiel reggaeton ou une voix grinçante latin-lover. Un éventail musical réduit, que très peu d’artistes n’osent déplier, par peur de se dissoudre dans l’art antirévolutionnaire. « Très peu de personnes participent réellement à l’évolution musicale de ce pays […] pour les raisons que tout le monde connaît, nous sommes en dictature, et la répression est réelle », confie Yoelxys, 27 ans, guitariste appartenant à la mouvance alternative cubaine ; mouvement underground et discret. A Cuba, on baisse la voix lorsque l’on critique le système par crainte d’être entendu par une oreille du parti. Fidel Castro Lider Máximo de la Revolución Cubana[1] vous écoute ! A Cuba on se tait, on marche droit et on écoute Compay Segundo immortaliser la gloire du socialisme. Donc aucune raison d’émettre à plein régime des décibels subversifs et encore moins d’inventer un style nouveau qui viendrait perturber 52 ans de Révolution.

Photo: Daphné L'Angevin
« Il n’y a pas besoin de censure, car l’artiste cubain sait s’autocensurer lui-même […] la liberté, tu la trouves dans l’improvisation et la paraphrase », déclare Arema, 31 ans, chanteuse à la voix prestigieuse, qui aborde des thèmes de la société avec poésie et humour. L’une de ses chansons, e-mail, expose l’accès prohibé à internet. Dans cette chanson, un personnage vivant à l’étranger, se plaint de ne jamais recevoir de mail de la part d’un autre personnage vivant à Cuba : « toutes les nuits j’attends ton e-mail et j’en deviens hystérique ! – mais tu crois que c’est chez moi qu’on posera la fibre optique ?! ». En effet, pour préserver toute contagion du système capitaliste et de protéger les cubains des informations séditieuses impérialistes, le parti révolutionnaire a interdit l’accès à internet[2]. Arema, pour se protéger de quelques irritations communistes, a choisi de chanter la majeure partie de ses chansons en anglais. Accéder à la liberté à Cuba, aussi infime soit-elle, demande d’être créatif et d’imaginer une série de stratagèmes curieux pour passer entre les mailles du filet de la réprobation.

Photo: Daphné L'Angevin
La culture a pourtant une place centrale dans cette société. L’une des principales volontés de ces révolutionnaires barbus qui ont pris le pouvoir en janvier 1959, était de permettre au peuple d’accéder sans conditions, de manière universelle et gratuite à l’éducation, la santé et la culture. Ce fut en partie une très grande réussite. Trois piliers d’un système social dont nous avons beaucoup à envier. Le prix d’une entrée au cinéma, au théâtre, n’excède rarement 2 pesos[3], et les concerts sont souvent gratuits. Cela représente un petit investissement du salaire minimum, qui atteint cependant la cynique somme de 280 pesos/mois[4]. On accède donc facilement à la culture, mais à une culture…contrôlée. Pas question d’éveiller un complot contre la dynastie Castro en laissant le peuple se nourrir de culture perturbatrice.

Les douces mélodies cubaines continueront de célébrer la gloire de “la plus belle île du monde”, comme le chantait Ibrahim Ferrer… Mais quel sort nous réservent les musiciens de l’après Castro ? Ces excellents musiciens, talentueux, n’attendent que le trépas d’un homme pour édifier une nouvelle structure musicale qui risque d’émettre loin des frontières fermées de cette terre insulaire…


[1] Chef Suprême de la Révolution Cubaine.
[2] Il est toutefois possible pour les touristes de naviguer sur la toile moyennant la modique somme de 6,70€/heure.
[3] 5cts€
[4] 8,15€