vendredi 7 janvier 2011

Promenade musicale

Arema, chanteuse, et Yoelxys, guitariste, font partie du mouvement alternatif cubain. Un mouvement underground et discret qui s'évertue à exister. Dans un pays où la musique est paralysée par la censure, où créer signifie s'insurger, la musique alternative est devenue une forme de protestation...
Petite promenade musicale avec deux artistes insolites...


Arema et Yoelxys; Photo: Daphné L'Angevin
Arema :
A l’âge de 12 ans, je suis entrée dans une école élémentaire de peinture où on étudiait l’histoire de l’art, la photo, la culture. J’étais plutôt douée. Et j’ai commencé à composer. Je travaillais avec des musiciens qui sont devenus les précurseurs de la musique jazz actuelle. A cette époque on écoutait Pearl Jam, Nirvana. En fait, on s’était lancé dans la musique alternative.

Arema; Photo: Daphné L'Angevin

Yoelxys :
Depuis tout petit, j’ai toujours adoré la musique. A trois ans, je savais jouer l’hymne national avec un harmonica. En réalité, je n’étais pas vraiment destiné à être musicien puisque mes parents voulaient que je sois médecin. Mais quand j’ai eu treize ans, ma grand-mère m’a offert une guitare. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à étudier la musique, tout seul. J’ai eu un coup de foudre avec la guitare. C’est un instrument très intime, qui est à toi, que tu embrasses.
Je me considère comme un pont entre la musique et l’auditeur. On doit cesser d’exister pour se convertir soi-même en musique. Donc ta vie change. Et d’une certaine façon, tu deviens l’esclave de la musique, mais c’est un esclavage avec lequel tu gardes le sourire.
Umot pour me définir ? Je dirais…la mer. Parce que…je suis né en face de la mer. Et ma musique transmet l’eau. Ma manière de jouer transmet l’eau. Transmettre cette réflexion du soleil ou de la lune sur l’eau. Je ne pourrais jamais définir mon style comme du Hard rock, du Blues. Je le définirais comme mer, la mer comme élément naturel.

Yoelxys ; Photo: Daphné L'Angevin
Arema :
Pour moi, la vie est un entrainement. La question, ce n’est pas de savoir si tu as du talent. Il faut chaque jour consacrer un moment à la musique, le chemin se fait tout seul, et tu marcheras sur une terre fertile. Je suis vraiment ouverte, on en apprend tous les jours, avec tout le monde. Je ne me définis jamais. Ce sont les gens qui me définissent, et plus ils viennent de loin, plus ils sont objectifs. Ce qui me définie vraiment, ce sont mes chansons. Chaque chanson à sa façon faire d’être chantée. Les gens te reconnaissent pour ton style.
Les chansons sont des personnes, des personnes indépendantes les unes des autres qui expriment leur destin. Cela change selon les circonstances dans lesquelles tu te trouves lorsque tu composes. Lorsque j’écris, j’aime beaucoup le concept de l’allégorie, puisqu’en plus des chansons, j’écris des contes.

Arema ; Photo: Daphné L'Angevin

Yoelxys :
D’un certain point de vue, la musique cubaine est paralysée. Il n’y a pas de progrès. Très peu de personnes participent à l’évolution musicale. Très peu de personnes font réellement de la Musique, avec un grand M. C’est précisément ça, cesser de vivre pour se convertir en art, en musique. Très peu de personnes essayent de transmettre des choses positives. La musique cubaine est pseudo populaire, pour le dire d’une certaine façon et pour ne pas dire vulgaire.
Certains musiciens jouent vraiment bien, mais ils ne transmettent rien. Il y a un grand vide. La musique, je la vois paralysée parce que Cuba n’a pas connu d’évolution depuis le cha-cha-cha, le son, le guaracha, qui ont été de véritables innovations. Depuis les années 70, je n’ai pas vu d’évolution musicale. On imite des rythmes étrangers comme le reggaetone, le hiphop ou autres, mais ce fait de créer de nouveaux genres s’est beaucoup perdu. A cause des problèmes économiques, les musiciens tendent vers la musique commerciale…pour se faire de l’argent. Quand quelqu’un crée, il révolutionne les choses. Et quand tu marches dans la vieille Havane, dans tous les bars où tu te rends, tous les musiciens jouent le Chanchan, la guantanamera, estoy tan enamorado de la negra tomasa, tellement chiant d’avoir à écouter la même musique dans tous ces endroits. Peu de personnes créent réellement. Où sont les nouvelles propositions ? Où sont les nouveaux musiciens cubains ? On doit se battre contre ça, on doit créer !

Yoelxys ; Photo: Daphné L'Angevin
Arema :
Depuis que la musique est devenue un commerce, les gens se sont découragés de créer de la bonne musique. Mais je ne pense pas que ce soit seulement à Cuba, c’est partout pareil. Qu’est que tu observes depuis l’extérieur ? Les cubains ont une chaleur qui n’existe pas ailleurs. C’est pour cette raison que les gens viennent ici, parce que ça sonne vraiment bien. Ecoute la musique cubaine, et tu t’en rendras compte.

Arema ; Photo: Daphné L'Angevin

Yoelxys :
Je vais continuer de jouer la musique qui me plaît. Je ne me laisserai jamais manipuler, même si ça ne me rapporte rien du tout, je continuerai de jouer de la même façon pour vraiment être moi-même. Ca c’est important, si tu te fragmentes tu ne seras plus toi-même. Il y a peu de personnes, comme nous, qui veulent créer une musique nouvelle et différente. Il y a quelques années, ça n’aurait jamais fonctionné, mais maintenant, nous sommes devenus une véritable force. Et précisément pour ce combat. Oui, il y a de l’espoir, venant de la plus petite minorité bien sur. On se bat pour notre vérité, et pour les personnes qui croient en notre vérité.