mercredi 26 octobre 2011

La Colombie dans l'impasse universitaire

“Ci-gît un droit fondamental”
Après plus de cinq mois de manifestation et un mois de blocage, les universités publiques colombiennes continuent à lutter contre la privatisation de l'enseignement supérieur. Du côté du gouvernement, le ton se durcit. Un mouvement qui n'est pas sans rappeler celui des étudiants chiliens qui se battent pour la même raison.


La Colombie dans l'impasse universitaire by T-klafónido

On pourrait se croire à Halloween avant l’heure ; longues capes de la Faucheuse, peintures faciales lugubres et cercueils en carton défilent ce mercredi 26 octobre dans les rues de Bogotá. Ce n’est cependant pas un cortège de cette célèbre fête folklorique, mais une manifestation étudiante. Une manifestation colorée et musicale, joyeuse et théâtrale. L’enthousiasme qui règne cache toutefois un certain malaise. S’ils manifestent, c’est que l’avenir de ces milliers d’étudiants est en jeu.
La réforme de la privatisation partielle des universités publiques, mesure phare du gouvernement de Juan Manuel Santos, est quasiment ratifiée par le congrès. “Nous sommes vraiment indignés par cette réforme qui est une réelle insulte à notre dignité étudiante.” Soupire Andrés Vanega, l’un des leaders du mouvement. “L’université publique doit être garanti par l’Etat lui-même [...] et avec cette réforme, des sociétés privées vont venir dicter les politiques universitaires.” La réforme implique l’investissement d’entreprises privées dans l’enseignement supérieur et l’augmentation des frais d’inscription. “Le gouvernement prostitue notre éducation aux multinationales, comme il l’a fait avec l’agriculture et les minerais.” s’énerve un jeune, le visage caché par une écharpe. 
 
Après le Chili, c’est au tour de la Colombie et de ses étudiants de manifester son ras-le-bol. Le ras-le-bol d’une éducation élitiste, réservée aux classes aisées, “en voie de disparition”, comme le révèle une pancarte du cortège. Le système éducatif colombien a été très largement influencé par la doctrine économique nord-américaine. “Si tu veux étudier, prépare toi à t’endetter ! Prêt banquier, prêt banquier, prêt banquier !” Ironise un slogan. La fac coute cher, donc le crédit auprès des banques devient indispensable.
Armés de bombes de peinture, des tagueurs au visage voilé s’attaquent aux vitrines des banques, sous l’œil impuissant des vigiles. “Les banques représentent la tyrannie financière. On étudie jusqu’au Master et on paiera pendant 15 ans notre éducation, avec des taux ahurissants” se lamente Andrés. “T’en fais pas, glisse-t-il, elles [les vitrines] seront nickels dans un petit quart d’heure !” En effet, une fois le cortège passé, des femmes de ménage armées d’éponges viennent frotter le verre de ces beaux établissements. 

Bien que la réforme soit quasiment ratifiée, le mouvement commence à taper sur les nerfs du gouvernement. Depuis un mois, les étudiants de l’Universidad Pedagógica et de la Nacional bloquent régulièrement les avenues de la ville avec des pupitres et procèdent à des cacerolazos (concert de casseroles) la nuit tombée. “Les étudiants ne lâcheront pas le morceau, et le gouvernement finira par obtempérer”, commente Laura, journaliste radio à la W.
Au fur et à mesure de ses discours à l’intention des étudiants, le ton du président Santos a évolué. Au début, il jouait la carte sentimentale : “ne perdez pas un semestre de votre vie !” Puis la carte budgétaire : “chaque jour le blocage coute 10,5 milliards de pesos (3,5 millions d’euros)”. On a vu un Santos humaniste : “pensez aux étudiants qui ont peu de revenus.” Puis un Santos désespéré et patriotique : “[…] s’il vous plait, retournez étudier, c’est ce qu’attendent de vous vos familles et votre pays.” Mais dernièrement, on a vu un Santos exacerbé : “si dans deux semaines les universités n’ont pas été débloquées, les étudiants perdront leur année” a t-il furieusement martelé. 
Une menace à ne pas prendre à la légère ? ça fait des mois que le gouvernement nous promet de revenir sur la loi, et on a vu aucun changement, déplore Andrés, ce sera soit notre année, soit notre avenir, et c’est tout choisi !”. Libertad !” hurle t-il en écho au cortège, avant de le regagner en trottinant. Un avant-gout d’Halloween règne dans ce mouvement d’indignation, car son ampleur et sa détermination commencent à effrayer le gouvernement.



Combat imaginaire entre la ministre de 
l'éducation (à gauche), et le mouvement étudiant (à droite)
Un manifestation à laquelle 
participèrent toutes les générations

 
De nombreux déguisement
Homicidia nacional - policía nacional